2024, travail de veille encadré par Bérénice Gagne, Master Altervilles.
Le numérique fait l’objet de certains fantasmes dans notre société occidentale. Au cours de mes études en design puis en sciences politiques, j’ai parfois entendu que le numérique permettait de faire des économies, aussi bien dans le privé que dans le public. Il est vrai que ces dernières années, différents services sont nés et ont l’air de tenir dans le temps, comme les téléconsultations pour voir un médecin, planifier un trajet en covoiturage depuis notre smartphone, ou demander une aide au logement sans jamais voir quelqu’un. J’ai l’impression que le numérique est un peu la solution de facilité pour les décideurs politiques, il comble les besoins là où personne n’a réellement planifier. Mais c’est aussi un domaine dans lequel on voit passer des bizarreries non élucidées qui sont des gouffres économiques, comme le Metaverse, disparu aussi rapidement qu’il était apparu. C’est donc à travers cet intrigue que je me suis demandé comment le numérique est-il considéré et traité par les collectivités sur leurs territoires ?
Écologie de l’environnement VS écologie du milieu
Depuis André Gorz au moins, on oppose souvent deux écologies. L’une serait technocratique, l’autre serait démocratique. Il est d’usage par exemple d’opposer l’écologie top-down et l’écologie bottom-up, l’écologie globale et l’écologie locale, l’écologie high tech et l’écologie low tech, et on pourrait ajouter, l’écologie artiste et l’écologie sociale, ou encore, l’écologie industrielle et l’écologie politique. [1] (Petit, 2017)
L’article oppose deux approches de l’écologie : l’écologie de l’environnement et l’écologie du milieu. La première se concentre sur la réduction de l’impact des activités humaines par l’optimisation technique globale, avec des solutions reproductibles et normées (par exemple, l’éco-conception pour limiter les flux de matières et d’énergie). En revanche, l’écologie du milieu vise à transformer les relations entre les humains, leurs techniques et leur milieu, en valorisant des innovations socio-techniques adaptées aux spécificités des territoires et des communautés locales. Ces deux perspectives s’opposent dans leur finalité : une approche technocratique universelle versus une approche participative, enracinée dans les singularités locales.
La notion de réseaux : entre dépendance et fracture
Autrefois inexistants puisque le chauffage et l’eau, par exemple, étaient gérés à très petite échelle en se fournissant en bois et en puisant dans un puits, les réseaux sont naturellement plus complexes induisent une gestion qui jongle entre le choix d’assumer une fracture dans la société, ou sa dépendance. En d’autres termes, les réseaux peuvent être investi de manière à privilégier certains usagers plutôt que d’autres, par exemple en ce qui concerne le tout-à-l’égout qui a mis plus d’un siècle avant de relier le premier et le dernier immeuble de Paris, ou comme on peut le constater aujourd’hui entre les maisons isolées et les zones urbaines. Toutefois, cela favorise la résilience du territoire. De l’autre côté, on peut investir pour que l’ensemble des usagers puissent avoir accès à la ressource, c’est notamment le cas avec le réseau d’eau potable qui dessert la majeure partie de la population. Toutefois, cela peut occasionner de grands risques de dépendance au réseau et requiert un investissement continue pour maintenir le réseau, même quand il n’est plus adapté (on peut penser aux problèmes d’eau stagnante dans les réseaux de distribution d’eau dans une ville en décroissance).
La dépendance et la fracture sont intimement liées : l’élargissement d’un réseau peut réduire les fractures, mais renforcer la dépendance globale.
La Propriété VS les Communs
Cet article questionne la manière dont le numérique est coordonné voire planifié. Il y a effectivement un point de bascule où le numérique ne permet de faire la transition écologique tant mis en avant. En effet, même si certaines plateformes comme AirBnB permettent de mettre en location des logements dans lesquels les résidents vivent, et donc minimise a priori l’empreinte d’un séjour en vacance, il y a tout de même des logiques capitalistes derrière qui engendre des effets néfastes puisque le but principal est de produire de la richesse. Ainsi, les auteurs brandissent une autre voix porté par André Gorz, qui est celle des communs. Incarné notamment par les logiciels libres, et donc les communs immatériels ou de la connaissance, ceux-ci répandent une autre manière de pratiquer le numérique. En effet, l’importance ici est porté sur la valeur d’usage et non la valeur marchande.
Sur les territoires, on remarque que les communs de la connaissance ont besoin parfois d’un endroit, souvent incarnés par les Tiers-lieux (espace de coworking, fablabs, makerspace, hackaton).
L’indispensable déploiement du numérique en milieu périurbain et rural
En milieu périurbain, le numérique est devenu une composante indispensable de la vie. Pour certains habitants, c’est même un critère primordial dans le choix de vivre ici ou là, en comparaison à deux territoires.
« C’était un critère de sélection. Je savais par exemple qu’il y avait des terrains pas chers à côté de chez mon beau-père mais les connexions étaient pourries, ça ne captait pas, même avec n’importe quel opérateur, je ne pouvais pas m’imaginer dans une maison où ça ne captait pas […] Je veux toujours être joignable. » (Agent immobilier/ coiffeuse, installés à B-l-G en 2009, Eure)
Certains maires ont donc compris qu’il était essentiel d’avoir une couverture internet sur son territoire afin d’attirer des ménages, souvent plus jeunes. Le numérique permet en cela de rester connecter socialement, tandis que l’aménagement urbain est en réalité totalement déconnecté (maisons pavillonnaires, zoning, etc). Le numérique permet aussi d’optimiser la vie périurbaine, en évitant des déplacements :
« les usages numériques permettent un gain de temps et sont vecteurs d’un amoindrissement des contraintes de mobilités en direction des lieux d’achats »
Le numérique permet aussi de compenser une certaine lacune en service des territoires périurbains (e-commerce, e-administration, télétravail, sociabilités virtuelles, co-voiturage).
Les villes du numérique « responsable et durable »
Primé parmi 5 autres collectivités (Saint-chamond (42), Eurométropole de Strasbourg (67), Villeneuve d’Ascq (59), Rueil-Malmaison (92), Trilport (77)), la collectivité de Villeneuve d’Ascq a reçu la distinction de l’arobase verte. Ce sigle permet de récompenser les collectivités qui s’engage dans le déploiement d’un numérique « responsable et durable ».
L’élu défend alors divers projets qui ont été mis en place ces dernières années et les motivations qui les ont mené. Ainsi, la collectivité a entreprit des économies sur les fluides (gaz, eau, électricité) sur ses bâtiments grâce à l’IoT, l’Internet connecté des objets. Par exemple, en ce qui concerne l’eau, elle a fait posé des sondes connectées afin de captés les fuites dans le réseau. En ce qui concerne l’éclairage public, elle a remplacé une partie de ses lampadaires afin d’installer des LEDs pilotables qui ont permis 50% d’économie d’énergie sur ce domaine. De plus, la collectivité a mis fin au dogme de l’achat neuf d’équipements numériques et favorise les produits reconditionnés.
Suite
- Le déploiement du réseau internet est réalisé en coopération avec d’autres services intéressés des collectivités (attractivité pour les entreprises, sécurité, éclairage, etc) car sinon c’est trop coûteux et il n’y a pas assez de retour sur investissement en terme de voix électorale.
- Des initiatives citoyennes et privées émergent au courant des années 2000 afin de lier le monde d’internet au monde des interactions physiques. Dans divers domaines : transport (Blablacar, Uber, etc), l’animation touristique des territoires (Géocaching), la promotion des circuits courts de l’agriculture locale (La Ruche qui dit Oui, Drive fermier, etc). Ce faisant, les élus doivent s’adapter à cette évolution des pratiques numériques et de l’animation des territoires. Aujourd’hui, l’Open Data témoigne d’une adaptation des collectivités sur le numérique citoyen, en donnant accès aux habitants à des données publiques.
- Les projections sur le numérique et sa réalité économique depuis plusieurs années : Notre monde numérique est la rencontre des smartphones, des infrastructures 4G et des plateformes de vidéo, le tout encadré par le modèle de financement par la pub en ligne.
Publications et articles scientifiques :
[1] Petit, Victor. « Transition écologique et numérique. Vers des territoires communs ? ». Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n°5 (2017), 797-818. https://doi.org/10.3917/reru.175.0797
Vidal, Philippe. « Territoires ruraux face aux TIC : quel désenclavement numérique ? ». Guide CRéATIF. Technologies en campagne, (2009).
Vidal, Philippe. Loubet, Lilian. « Les politiques numériques, vecteurs d’apprentissage de la coopération intercommunale ? ». Territoire en mouvement, Revue de géographie et aménagement, n°21 (2014), 93-107. https://doi.org/10.4000/tem.2321
Dupuy, Gabriel. « Fracture et dépendance: l’enfer des réseaux ? ». Flux, n°1 (2011), 6-23. https://doi.org/10.3917/flux.083.0006
Rougé, Lionel. Vidal, Philippe. « Les maires périurbains face à l’appétence numérique de leurs habitants ». Pouvoirs locaux, Les cahiers de la décentralisation, n° 103 (2015), 104-109.
Vidal, Philippe. « Les élus de proximité à l’heure du numérique territorial : quelles marges de manœuvre ? ». Raisonnance, n°6 (2015), 16-17.
Roussilhe, Gauthier. « Projeter les futurs environnementaux de la numérisation ». (2024). https://gauthierroussilhe.com/articles/projeter-les-futurs-environnementaux-de-la-numerisation [consulté le 10/12/2024]
Sitographie :
Villeneuve d’Ascq remporte l’Arobase Verte 2024, Institut du Numérique Responsable, (2024). https://institutnr.org/villeneuve-dascq-remporte-larobase-verte-2024 [consulté le 10/12/2024]
Rapports et études :
Rapport public WeNR, État des lieux de l’impact des systèmes d’information des organisations européennes, Institut du Numérique Responsable, (2021). https://wenr.isit-europe.org/wp-content/uploads/2021/12/wenr2021-rapport-public.pdf [consulté le 10/12/2024]